Émile Zola, L’Assommoir (1877) “ On inventait des saints sur almanach, histoire de se donner des prétextes de gueuletons. Virginie approuvait joliment Gervaise de se fourrer de bons morceaux sous le nez. Lorsqu’on a un homme qui boit tout, n’est-ce pas ? c’est pain bénit de ne pas laisser la maison s’en aller en liquides et de se garnir d’abord l’estomac. Puisque l’argent filait quand même, autant valait-il faire gagner au boucher qu’au marchand de vin. Et Gervaise, agourmandie, s’abandonnait à cette excuse. Tant pis ! ça venait de Coupeau, s’ils n’économisaient plus un rouge liard. ” [↩︎] Source : Wikisource ▶︎
Émile Zola, Rome “ Si Pie IX, si Léon XIII avaient résolu de s'emprisonner dans le Vatican, c'était qu'une nécessité les clouait à Rome. Un pape n'est pas le maître d'en sortir, d'être ailleurs le chef de l'Église. De même, un pape, quelle que soit son intelligence du monde moderne, ne saurait trouver en lui le droit de renoncer au pouvoir temporel. Il y a là un héritage inaliénable, dont il a la défense; et c'est en outre une question de vie qui s'impose, sans discussion possible. ” [↩︎] Source : Gutenberg ▶︎
Émile Zola, L’Argent “ Mme Caroline, épouvantée, envoya le soir même une dépêche à son frère, qui était à Rome pour une semaine encore; et, trois jours après, Hamelin débarquait à Paris, accourant au danger.L'explication fut rude, entre Saccard et l'ingénieur, rue Saint-Lazare, dans cette salle des épures, où l'affaire, autrefois, avait été discutée et résolue avec tant d'enthousiasme. Pendant les trois jours, la débâcle à la Bourse venait de s'aggraver terriblement, les actions de l'Universelle étaient tombées, coup sur coup, au-dessous du pair, à 430 francs ” [↩︎] Source : Gutenberg ▶︎
Émile Zola, Le Naturalisme au théâtre “ En vérité, l'oeuvre écrite est plus large, plus haute, plus dégagée de la sottise des foules que l'oeuvre jouée. Au théâtre, le succès est trop souvent indépendant de l'oeuvre. Une rencontre suffit, une interprétation heureuse, une plaisanterie qui est dans l'air, une bêtise tournée d'une certaine façon qui répond à la bêtise du moment. Si le rire ou les larmes prennent,—je ne fais pas de différence, car les larmes sont une autre forme de la bonhomie du public,—voilà la pièce lancée, il n'y a plus de raison pour qu'elle s'arrête. ” [↩︎] Source : Gutenberg ▶︎
“ Une femme qui trompe son mari, qui abrite ses amours derrière la tendresse tremblante d'un petit clerc, et qui est vaincue à la fin par tant de jeunesse, de dévouement et de désespoir: n'est-ce pas le drame de la passion elle-même, avec une fraîcheur de printemps exquise? Musset n'a jamais été plus railleur ni plus tendre; il a touché là le fond des coeurs. Son oeuvre a le frisson de la vie, le charme d'une analyse de poète. Chaque scène ouvre un monde. On ne sort pas du théâtre l'âme et la tête vides, car on emporte un coin d'humanité avec soi, sur lequel on peut rêver indéfiniment. ” [↩︎] Source : Gutenberg ▶︎
Émile Zola, La Débâcle “ Jean, brave garçon, l’approuvait d’un hochement de tête. Rien également ne semblait plus facile, à lui illettré, que de tomber tous d’accord, si l’on s’était donné de bonnes raisons. Mais, repris par sa science, Maurice songeait à la guerre nécessaire, la guerre qui est la vie même, la loi du monde. N’est-ce pas l’homme pitoyable qui a introduit l’idée de justice et de paix, lorsque l’impassible nature n’est qu’un continuel champ de massacre ? ” [↩︎] Source : Wikisource ▶︎
Émile Zola, Le Naturalisme au théâtre “ Il y a là toute une nouvelle formule. Scribe, par exemple, n'a pas besoin des milieux réels, parce que ses personnages sont en carton. Je parle uniquement du décor exact pour les pièces où il y aurait des personnages en chair et en os, apportant avec, eux l'air qu'ils respirent.Un critique a dit avec beaucoup de sagacité: «Autrefois, des personnages vrais s'agitaient dans des décors faux; aujourd'hui, ce sont des personnages faux qui s'agitent dans des décors vrais.» Cela est juste, si ce n'est que les types de la tragédie et de la comédie classiques sont vrais, sans être réels. ” [↩︎] Source : Gutenberg ▶︎
Émile Zola, La Terre (1887) “ Une supposition que Françoise fût morte sans héritier, comme tout s’arrangeait, quel coup de justice du bon Dieu ! Lise, empoisonnée de sa haine, finit par jurer que sa sœur n’était plus sa sœur, qu’elle lui tiendrait la tête sur le billot, s’il ne s’agissait que de ça pour rentrer dans leur chez-eux, d’où la salope les avait si dégoûtamment chassés. Buteau, lui, ne se montrait pas gourmand, déclarait que ce serait déjà gentil de voir le petit claquer avant de naître. Cette grossesse surtout l’avait irrité : un enfant, c’était la fin de son espoir têtu, la perte définitive du bien. ” [↩︎] Source : Wikisource ▶︎
Émile Zola, Germinal (1885) “ En cas de mauvaise rencontre, on verrait bien si les gendarmes oseraient taper sur des femmes. Et les hommes suivaient, dans une confusion de troupeau, en une queue qui s’élargissait, hérissée de barres de fer, dominée par l’unique hache de Levaque, dont le tranchant miroitait au soleil. Étienne, au centre, ne perdait pas de vue Chaval, qu’il forçait à marcher devant lui ; tandis que Maheu, derrière, l’air sombre, lançait des coups d’œil sur Catherine, la seule femme parmi ces hommes, s’obstinant à trotter près de son amant, pour qu’on ne lui fît pas de mal. ” [↩︎] Source : Wikisource ▶︎
Émile Zola, La Joie de vivre “ Bien portante, toujours droite dans le bonheur de l’habitude et dans l’espoir du lendemain, elle le réduisait à son tour au silence par l’éclat de son rire sonore, elle triomphait, de toute la poussée vigoureuse de sa puberté. — Tiens ! criait-elle, tu racontes des bêtises... Nous songerons à mourir quand nous serons vieux. L’idée de la mort, qu’elle traitait si gaiement, le rendait chaque fois sérieux, le regard fuyant. Il détournait d’ordinaire la conversation, après avoir murmuré : — On meurt à tout âge. Pauline finit par comprendre que la mort épouvantait Lazare. ” [↩︎] Source : Wikisource ▶︎
Émile Zola, Thérèse Raquin (1868) “ Une foule apitoyée stationnait devant le cabaret, Le gargotier et sa femme étaient de bonnes gens qui mirent leur garde-robe au service des naufragés. Lorsque Thérèse sortit de son évanouissement, elle eut une crise de nerfs, elle éclata en sanglots déchirants ; il fallut la mettre au lit. La nature aidait la sinistre comédie qui venait de se. jouer. Quand la jeune femme fut plus calme, Laurent la confia aux soins des maîtres du restaurant. Il voulut retourner seul à Paris pour apprendre l'affreuse nouvelle à madame Raquin.avec tous les ménagements possibles. ” [↩︎] Source : Gallica ▶︎
Émile Zola, Madeleine Férat (1878) “ Les caractères mous, les corps faibles plient seuls sous les coups et finissent par se creuser dans l'anxiété elle-même un trou voluptueux où ils s'endorment volontiers. En regardant la face grasse et luisante d'Hélène, Madeleine pensait: « Si jamais je me livre à un autre homme que Guillaume, je me tuerai. » Pendant quatre saisons, les visiteurs vinrent à la Noiraude. Le père de Tiburce retenait brutalement son fils à Véteuil, où il l'avait placé chez un avocat, et le jeune homme se rongeait les poings de ne pouvoir suivre sa maîtresse à Paris. ” [↩︎] Source : Gallica ▶︎
Émile Zola, Un Duel social (1873) “ Le malheur est une rude école. Le soir où de Cazalis et Mathéus se rendaient à Saint-Barnabé, accompagnés de deux gendarmes, Philippe, comme à son ordinaire, était arrivé chez Ayasse vers six heures. Le jardinier et sa femme l'attendaient pour conduire à Marseille une voiture de raisin. Dès qu'il se trouva seul, il se retira dans la salle du bas et s'enferma. Le petit Joseph n'était guère en train de jouer ” [↩︎] Source : Gallica ▶︎
Émile Zola, Le Docteur Pascal “ A partir de ce triste jour, Pascal et Clotilde s'en allèrent plus attendris, serrés l'un contre l'autre, visiter leurs malades. Peut-être, chez lui, la pensée de son impuissance devant la maladie nécessaire avait-elle grandi encore. L'unique sagesse était de laisser la nature évoluer, éliminer les éléments dangereux, ne travailler qu'à son labeur final de santé et de force. Mais les parents qu'on perd, les parents qui souffrent et qui meurent, laissent au coeur une rancune contre le mal, un irrésistible besoin de le combattre et de le vaincre. ” [↩︎] Source : Gutenberg ▶︎
Émile Zola, Lourdes “ Une paralytique se leva, jeta ses béquilles. Il y eut un cri perçant, une femme apparut, debout sur son matelas, enveloppée d'une couverture blanche, ainsi que d'un suaire; et l'on disait que c'était une phtisique à demi morte, ressuscitée. Coup sur coup, la grâce retentit deux fois encore: une aveugle qui aperçut la Grotte soudainement, dans une flamme; une muette qui tomba sur les deux genoux, en remerciant la sainte Vierge, à voix haute et claire. Et toutes se prosternaient de même aux pieds de Notre-Dame de Lourdes, éperdues de joie et de reconnaissance. ” [↩︎] Source : Gutenberg ▶︎
Émile Zola, La Curée “ Les voitures, moins serrées, tournaient avec une grâce superbe; le trot plus rapide des attelages sonnait hautement sur la terre dure.La calèche, en faisant le grand tour pour prendre la file, eut une oscillation qui pénétra Maxime d'une volupté vague. Alors, cédant à l'envie d'accabler Renée:—Tiens, dit-il, tu mériterais d'aller en fiacre! Ce serait bien fait!... Eh! regarde ce monde qui rentre à Paris, ce monde qui est à tes genoux. On te salue comme une reine, et peu s'en faut que ton bon ami, M. de Mussy, ne t'envoie des baisers. ” [↩︎] Source : Gutenberg ▶︎
Émile Zola, Son Excellence Eugène Rougon (1876) “ La liberté sans entraves est impossible dans un pays où il SON EXCELLENCE EUGÈNE ROUGON. 357 existe une faction obstinée à méconnaître les bases fondamentales du gouvernement. Il faudra de bien longues années pour que le pouvoir absolu s'impose à tous, efface des mémoires le souvenir des anciennes luttes, devienne indiscutable au point de se laisser discuter. En dehors du principe autoritaire appliqué dans toute sa rigueur, il n'y a pas de salut pour la France. Le jour où Votre Majesté croira devoir rendre au peuple la plus inoffensive des libertés, ce jour-là elle engagera l'avenir entier. ” [↩︎] Source : Gallica ▶︎
Émile Zola, Lourdes “ Encore une qui était guérie! encore une autre! encore une autre! Une sourde qui entendait, une muette qui parlait, une phtisique qui ressuscitait! Comment, une phtisique? Mais certainement, cela était quotidien! Il n'y avait plus de surprise possible, on aurait constaté sans étonner personne qu'une jambe coupée repoussait. Le miracle devenait l'état même de nature, la chose habituelle, banale à force d'être commune. Pour ces imaginations surchauffées, les histoires incroyables paraissaient toutes simples, dans la logique de ce qu'elles attendaient de la sainte Vierge. ” [↩︎] Source : Gutenberg ▶︎
Émile Zola, Un Duel social (1873) “ La tête basse, il sembla réfléchir profondément. Marius et Philippe le virent descendre du perron et errer dans la foule, en proie à une perplexité visible. A la vérité, Mathéus discutait avec lui-même s'il ne devait pas aller voler l'enfant tout de suite, avant la lutte, pour éviter de se compromettre en restant davantage au milieu des barricades. Il craignait toujours que de Cazalis ne parvînt à lui jouer un mauvais tour en le faisant arrêter avec les républicains. ” [↩︎] Source : Gallica ▶︎
Émile Zola, Nana (1880) “ C’était M. Venot. Il était venu s’asseoir derrière elles, comme désireux de disparaître ; et, se penchant, il murmurait : — Pourquoi désespérer ? Dieu se manifeste, lorsque tout semble perdu. Lui, assistait paisiblement à la débâcle de cette maison qu’il gouvernait jadis. Depuis son séjour aux Fondettes, il laissait l’affolement grandir, avec la conscience très nette de son impuissance. Il avait tout accepté, la passion enragée du comte pour Nana, la présence de Fauchery près de la comtesse, même le mariage d’Estelle et de Daguenet. ” [↩︎] Source : Wikisource ▶︎
Émile Zola, Au bonheur des dames “ En effet, Baugé, qui avait quitté depuis peu le Bon Marché pour le Bonheur des Dames, allait l’épouser, vers le milieu du mois. Bourdoncle n’aimait guère les ménages ; cependant, ils avaient l’autorisation, ils espéraient même obtenir un congé de quinze jours. — Vous voyez bien, déclara Denise. Quand un homme vous aime, il vous épouse... Baugé vous épouse. Pauline eut un bon rire. — Mais, ma chérie, ce n’est pas la même chose. Baugé m’épouse, parce que c’est Baugé. Il est mon égal, ça va tout seul... Tandis que monsieur Mouret ! Est-ce que monsieur Mouret peut épouser ses vendeuses ? ” [↩︎] Source : Wikisource ▶︎
Émile Zola, Germinal (1885) “ Dans le coron, il n’y avait plus que les femmes, s’invitant, achevant d’égoutter les cafetières, autour des tables encore chaudes et grasses du dîner. Maheu flairait que Levaque était à l’Avantage, et il descendit chez Rasseneur, sans hâte. En effet, derrière le débit, dans le jardin étroit fermé d’une haie, Levaque faisait une partie de quilles avec des camarades. Debout, ne jouant pas, le père Bonnemort et le vieux Mouque suivaient la boule, tellement absorbés, qu’ils oubliaient même de se pousser du coude. ” [↩︎] Source : Wikisource ▶︎
Émile Zola, L’Œuvre (1886) “ Hors de lui, Claude traita Jory de crétin : est-ce qu'il ne valait pas mieux détruire une oeuvre que de la livrer médiocre ? Oui, c'était dégoûtant, ce bas intérêt de commerce ! De leur côté, Sandoz et Mahoudeau parlaient à la fois, très fort. Des bourgeois, inquiets, tournaient la tête, finissaient par s'attrouper autour de ces jeunes gens si furieux, qui semblaient vouloir se mordre. Puis, les passants s'en allèrent, vexés, croyant à une farce, lorsqu'ils les virent brusquement, très bons amis, s'émerveiller ensemble, au sujet d'une nourrice vêtue de clair, avec de longs rubans cerise. ” [↩︎] Source : Gallica ▶︎
Émile Zola, Pot-Bouille (1883) “ Le bruit courait, parmi les intimes, que Valérie se débattait dans des convulsions affreuses. Il aurait fallu des hommes pour la tenir; mais, comme on avait dû la déshabiller à moitié, on refusait les offres de Trublot et de Gueulin. Cependant, l'orchestre jouait un quadrille, Berthe ouvrait le bal avec Duveyrier qui dansait en magistrat, tandis que, n'ayant pu retrouver madame Josserand, Auguste leur faisait vis-à-vis avec Hortense. On cachait la crise aux mariés, pour leur éviter des émotions dangereuses. ” [↩︎] Source : Gallica ▶︎
Émile Zola, Le Ventre de Paris “ Il allait sortir du pavillon, lorsque, en se retournant machinalement, il aperçut la belle Normande qui le suivait des yeux, la face toute grave. Il passa à côté des trois commères.— Vous avez remarqué, murmura mademoiselle Saget, la charcuterie est vide. La belle Lisa n'est pas une femme à se compromettre.C'était vrai, la charcuterie était vide. La maison gardait sa façade ensoleillée, son air béat de bonne maison se chauffant honnêtement le ventre aux premiers rayons. En haut, sur la terrasse, le grenadier était tout fleuri. ” [↩︎] Source : Gutenberg ▶︎
Émile Zola, Pot-Bouille “ Trublot seul, qui rêvait dans le fiacre, ne le vit pas. Des fournisseurs, sur leurs portes, le regardèrent gravement. Le papetier, en face, promenait encore les yeux le long de la façade, comme pour en fouiller les pierres; mais le charbonnier et la fruitière étaient déjà calmés, le quartier retombait à sa dignité froide. Sous la porte, au passage d'Octave, Lisa, en train de bavarder avec Adèle, dut se contenter de le dévisager; et toutes deux se remirent à se plaindre de la cherté de la volaille, sous l'oeil sévère de M. Gourd, qui salua le jeune homme. ” [↩︎] Source : Gutenberg ▶︎
Émile Zola, Le Ventre de Paris “ Alors, Lisa acheva son boudin, s'essuyant les doigts, doucement, au bord de son tablier. Elle voulut préparer le bougeoir de son beau-frère, pendant que Gavard et Quenu le félicitaient de sa détermination. Il fallait faire une fin après tout; les casse-cou de la politique ne nourrissent pas. Et elle, debout, le bougeoir allumé, regardait Florent d'un air satisfait, avec sa belle face tranquille de vache sacrée. ” [↩︎] Source : Gutenberg ▶︎
Émile Zola, Nana (1880) “ Dites donc, connaissez-vous le grand monsieur qui est à côté du prince dans l’avant-scène ? Un bel homme, l’air très digne, des favoris superbes. — C’est le comte Muffat, répondit Fauchery. Je sais que le prince, avant-hier, chez l’impératrice, l’avait invité à dîner pour ce soir... Il l’aura débauché ensuite. — Tiens ! le comte Muffat, nous connaissons son beau-père, n’est-ce pas, Auguste ? dit Rose en s’adressant à Mignon. Tu sais, le marquis de Chouard, chez qui je suis allée chanter ?... Justement, il est aussi dans la salle. Je l’ai aperçu au fond d’une loge. En voilà un vieux... ” [↩︎] Source : Wikisource ▶︎